Culture de prévention en petites et moyennes organisations, d’indispensables évolutions des pratiques d’accompagnement

Culture de prévention en petites et moyennes organisations, d’indispensables évolutions des pratiques d’accompagnement

La mission sur la santé au travail (LECOCQ, DUPUIS, FOREST), mandatée il y a un peu plus d’un an pour établir des préconisations pour de meilleurs résultats en termes de « culture de prévention », a remis en août 2018 ses conclusions au Premier Ministre. Ce rapport, intitulé « Vers un système simplifié pour une prévention renforcée », propose principalement des évolutions structurelles de notre dispositif national pour atteindre ces objectifs, en particulier dans les PME-TPE, considérée comme prioritaires par notre dernier Plan Santé Travail [1] . Une période de 3 mois vient de s’ouvrir, laissant l’opportunité aux partenaires sociaux de proposer des modalités de mise en œuvre de cette réforme.
Si des changements de notre système sont à l’évidence indispensables, nous insisterons ici sur les évolutions des pratiques professionnelles, individuelles et collectives, qui devront les accompagner, en partant des principales difficultés auxquelles sont confrontés les préventeurs [2] dans leur accompagnement des Petites et Moyennes Organisations [3] (PMO).

LES PRATIQUES EN PMO, DES ACTIONS PEU PREVENTIVES

Peu de PMO disposent de compétences internes en prévention. Les préventeurs qui y interviennent sont essentiellement des professionnels externes, relevant souvent des services de santé au travail (SSTi), appelés parfois IPRP. Et si l’on peut déplorer dans les PMO une « culture de prévention  [4] en mode mineur » [5] , force est de s’accorder sur un premier constat : la grande majorité des actions menées par ces professionnels de santé et sécurité au travail dans les PMO reste des actions ponctuelles dont l’objet n’est pas de faire évoluer leur culture de prévention. Ce sont, pour l’essentiel :
• Des actions de « mise en conformité », relevant plutôt de la prévention du risque juridique que de l’anticipation des questions de santé et sécurité ! Même la fameuse « évaluation des risques », pourtant considérée comme la pierre angulaire de la démarche de prévention, reste trop souvent une réponse formelle à l’obligation réglementaire de disposer d’un « document unique », bien peu génératrice d’actions concrètes visant à prévenir le risque.
• Des actions visant à traiter des situations problématiques aigues. Ergonome et psychologues du travail, pour ne citer que deux exemples, restent essentiellement sollicités pour trouver des solutions à des troubles musculosquelettiques ou psycho-sociaux visibles et avérés, impactant suffisamment l’entreprise pour qu’elle se mobilise. Il s’agit alors d’actions bien plus « réactives » que réellement « préventives ».
Ces catégories d’actions répondent aux principales – pour ne pas dire les seules – attentes des entreprises et constituent encore le socle de la formation des professionnels. Et malheureusement, ni l’une, ni l’autre n’a beaucoup d’impact sur le comportement organisationnel d’anticipation des questions de santé et de sécurité souhaité par les politiques publiques.

UNE GRANDE DIFFICULTE DE MOBILISATION DES ENTREPRISES

Ainsi, et c’est finalement, probablement là que se trouve le principal chantier pour la culture de prévention en PMO, il existe une vraie difficulté à inscrire l’entreprise, quelle qu’elle soient, dans une perspective d’évolution de sa capacité collective à anticiper et à prévenir les effets du travail sur la santé de ses collaborateurs par des dispositions adaptées, intégrées au quotidien de l’organisation. Rarement demandeuse de santé et sécurité au travail, le principal besoin dans ces organisations n’est ni technique, ni méthodologique : il s’agit de faire naître une préoccupation, un intérêt pour cette question [6] .
A cet égard, la PMO est très différentes des grosses structures. Elle reste peu sensible aux traditionnels leviers de mobilisation car peu impactée individuellement par les contrôles et les principes de tarification AT MP actuels, Le risque juridique, financier et la pérennité de l’organisation restent des arguments de peu de poids dans des organisation très centrées sur des préoccupations de court-terme. Et le dialogue social – s’il est loin d’être inexistant – prend des formes très différentes de celui de la grande entreprise et n’est que rarement une porte d’entrée sur les questions de santé et de sécurité en PMO.
Pour autant, l’action reste possible, et de nombreux exemples le montrent. De très nombreux dirigeants ont une préoccupation pour la santé de leurs collaborateurs et de nombreuses actions trouvent leur motivation au-delà de l’habituelle « peur du gendarme » ou de la sanction économique. Mais les compétences nécessaires en première intention en PMO relèvent finalement bien moins des méthodes et techniques de prévention que d’une forme de marketing social, discipline étonnement absente des pratiques et de la formation des préventeurs.

UNE BOITE A OUTILS MAL ADAPTEE A LA PMO

Une fois l’entreprise mobilisée, le préventeur se heurtera souvent à la difficulté d’insuffler une dynamique avec les habituels repères dont il dispose pour l’action en prévention. Rappelons que les démarches, méthodes et outils diffusés et enseignées aux futurs professionnels ont – dans leur grande majorité – été pensé pour la grande entreprise. La PMO est bien différente. Sans prétendre à exhaustivité de ses caractéristiques, les collaborateurs y sont plus polyvalents et les postes moins structurés, et donc les situations « à risques » moins faciles à cerner. Les fonctions transverses (RH, organisation, qualité…) et l’encadrement intermédiaire, sur lesquels l’accompagnant d’entreprise s’appuie habituellement, sont absentes. Si l’organisation du travail ou le dialogue social sont loin d’y être inexistants, ils sont souvent très peu formalisés. Les « modalités » traditionnelles de prévention – la formation, les consignes et modes opératoires s’y implantent difficilement. Et surtout, il n’existe souvent qu’un seul « porteur de projet », le dirigeant, déjà porteur de toutes les fonctions transverses et parant au plus pressé dans une organisation qui a peu de tradition d’anticipation.
Beaucoup de préventeurs ont ainsi testé l’incongruité de la mise en œuvre de leurs démarches participatives, ils ont cherché la meilleure manière d’associer des IRP (instances représentatives du personnel) absentes, ils se sont heurtés à l’impossibilité de mettre en place des « groupes de travail » ou de réunir l’ensemble les salariés pour une « sensibilisation » au port des EPI (équipements de protection individuelle) !
Et au-delà de cette « boite à outils » mal adaptée, la déclinaison de certaines règles de droit peut raisonnablement interroger : que penser, pour ne citer qu’un exemple, de l’obligation de « désignation » par le dirigeant, d’un salarié pour la mise en œuvre des actions de protection et de prévention dans une structure de deux ou trois opérateurs ?
Il n’est à l’évidence pas possible, en PMO, de « reproduire » ce qui se fait pour promouvoir la prévention dans les grandes entreprises car ses « mécanismes » sont très différents. Et si « reproduire » peut s’avérer difficile, ou inefficace, le pire est probablement lorsque cela devient contre-productif en décrédibilisant l’action même du préventeur. En contribuant, en particulier, à enrichir la représentation très répandue : une obligation administrative contraignante et surtout vide de sens (certains Document Unique de plusieurs dizaines de pages de tableaux colorés réalisés par des experts dans des entreprises artisanales de quelques salariés en sont de beaux exemples). Reste à s’accorder – car de nombreuses expérimentations ont déjà été menées – sur les meilleures modalités d’une action de promotion et d’accompagnement à la culture de prévention en PMO.

UNE OFFRE D’ACCOMPAGNEMENT DIFFICILE A STRUCTURER

En plus d’une faible mobilisation et du manque de repère méthodologiques adaptés, la conception d’une offre de service pertinente et viable pour les PMO s’avère un réel challenge.
Très nombreuses, mais ne représentant chacune que quelques collaborateurs, on a bien évidemment rapidement pensé à les regrouper pour des actions collectives. Sensibilisations et accompagnements collectifs par activité, par taille, par risque, par problématique ont ainsi été testés, en particulier par les services de santé au travail… Cela n’a pas réellement permis que se dégage une manière plus efficiente d’accompagner la nébuleuse des PMO. Elles sont d’une telle diversité de situations et de maturité qu’il est difficile d’en standardiser l’approche. L’offre actuelle continue souvent à hésiter entre ces deux modalités d’accompagnement, individualisé et collectif.
Une autre difficulté propre à la PMO, lorsqu’on parvient à initier une dynamique de prévention, est de parvenir à la pérenniser et à la faire grandir. L’évolution de la culture de prévention demande du temps à l’organisation, mais en PMO, le suivi et l’accompagnement dans la durée représentent de vraies difficultés pour le préventeur, car ce sont de très courtes interventions dans l’entreprise, mais qui s’inscrivent dans un temps (très) long.
Exigeante en implication, coût important de mobilisation, grande probabilité d’échec, retour sur investissement sur des temps longs, reproduction et capitalisation difficile, suivi dans la durée problématique, le tout pour un résultat faible car peu de personnes impliquées et impactées à chaque action, sont probablement les raisons pour lesquelles la PMO peine à devenir un marché. Difficile, dans ces conditions, en effet, de trouver un modèle économique qui permette de sortir d’une offre générique de « mise en conformité », ou de n’intervenir ponctuellement que lorsque la situation est suffisamment dégradée.
Les modalités d’action spécifiques aux PMO sont finalement encore en phase de tâtonnement. Les meilleures options restent certainement l’articulation et le cumul de phases collectives et de phases individuelles dans la sensibilisation et l’accompagnement, pour s’adapter au maximum de situations particulières. Mais il reste à rechercher les meilleurs moyens pour parvenir à suivre la progression de cette nébuleuse d’entreprise dans le temps. Et peu dispositifs ont été développé dans cette perspective jusqu’à présent.

UN MANQUE DE SYNERGIES PROFESSIONNELLES

Dans le monde de la santé au travail, avec des problématiques nécessitant un spectre de compétences de plus en plus large, personne ne remet désormais en cause la nécessité d’une approche plurielle. La PMO, avec sa diversité de situations et de maturité en prévention, est un argument supplémentaire à une organisation « pluridisciplinaire » où plusieurs professionnels se coordonneraient et se relaieraient pour coller au plus près des besoins de chacune d’elle.
Une chance que depuis le début des année 2000, de très nombreux métiers soient désormais associés dans les Services de Santé au Travail, principaux interlocuteurs de la PMO. Pourtant, ce melting-pot d’une grande richesse n’est visiblement pas parvenu – en plus de 15 ans – à développer la culture de prévention dans les PMO.
Au-delà de ce qui a déjà été évoqué précédemment, il paraît indispensable de convenir que – pour une meilleure culture de prévention dans les PMO – il faudra améliorer la collaboration entre les métiers. Car contrairement à ce qu’on a pu penser lors de la dynamique pluridisciplinaire initiée en 2001, les regards et modèles d’actions de professions, métiers, pratiques émanant des sciences sociales, de l’ingénierie, la médecine ou les sciences biologiques impliquées sur les questions de santé au travail sont très loin de s’articuler « naturellement ». On pourrait même dire qu’ils s’entrechoquent plus souvent qu’ils ne se complètent lorsqu’ils se croisent sur le terrain. Et si l’incursion des démarches orientées « risques psycho-sociaux », puis plus récemment « qualité de vie au travail » répondent à des attentes légitimes du monde du travail, elles ne se sont que rarement coordonnées avec la prévention de la pénibilité physique ou des risques plus « traditionnels ». Ainsi, il n’est pas rare de trouver des entreprises s’engageant pour favoriser le bien-être de leurs collaborateurs, en oubliant de prévenir certains des risques auxquels elle les expose encore au quotidien.
Et là où les grandes entreprises parviennent (parfois) à mettre en cohérence des approches d’origine et de fondement différents, la PMO elle, autorise mal la succession d’intervenants aux modèles d’action divers. Elle dispose de trop peu de ressources pour instruire la question de la place et de la pertinence d’approches qui lui apparaissent plus concurrentes que complémentaires. C’est donc bien en amont de l’entreprise, entre les professionnels et leurs différents modèles, que ce travail doit être fait, pour proposer collectivement des parcours coordonnés adaptés aux besoins de chaque PMO. Ce travail sur les complémentarités et les relais – tant entre les professionnels relevant de disciplines différentes, qu’entre les différentes institutions accompagnant les PMO – reste un chantier inachevé, plus que jamais d’actualité. Il y a là un fort enjeu d’efficacité, mais également de lisibilité, de l’action collective pour une meilleure culture de prévention en PMO.
Enfin, compte tenu de l’importance du travail à mener, il ne semble pas envisageable que le développement de la culture de prévention ne repose que sur les dispositifs institutionnels. Car sans relais du secteur marchand, l’accompagnement des PMO reste prisonnier d’une approche quasi expérimentale. Et pour que la culture de prévention en PMO devienne un « marché », il faudra trouver une articulation viable entre les deux : la « mobilisation » relevant plutôt du secteur institutionnel, alors que la mise en œuvre et le suivi de l’entreprise devenue « demandeuse » (parce qu’ayant compris les enjeux, mais aussi les bénéfices) pourrait être relayé et complétée par le secteur privé, comme c’est souvent le cas dans la grande entreprise.

[CONCLUSIONS] TROIS CHANTIERS POUR DEVELOPPER LA CULTURE DE PREVENTION EN SANTE AU TRAVAIL DANS LES PMO…

L’action en PMO reste possible, et surtout nécessaire : 1/3 des emplois salariés, plus des 9 entreprises sur 10, tous les risques professionnels y sont présents, et l’accidentologie y est plus élevée qu’ailleurs. Mais, le développement attendu de la culture de prévention nécessitera une mobilisation spécifique des préventeurs, au travers de 3 chantiers.
Un premier autour des stratégies de mobilisation, et pour ce faire, une meilleure connaissance des mécanismes de fonctionnement propres à la PMO est indispensable. L’implication des grappes qui fédèrent déjà les entreprises – cluster, branches professionnelles, organisations professionnelles, association d’employeurs et tout autre structures fédératrices de PMO –en est un axe majeur.
Il devra être complété par un travail sur les méthodes, outils et les modalités particulières d’intervention en PMO, pour mieux en considérer la spécificité dans l’action, pour mieux articuler phases collectives et phases individuelles dans les accompagnements, pour trouver les dispositions techniques et organisationnelles d’un meilleur suivi de leur progression dans la durée.
Il sera ensuite indispensable de créer une meilleure culture de collaboration et de complémentarité entre les professionnels, des institutions, et du secteur marchand.
L’essentiel pour les préventeurs sera peut-être de penser les PMO comme des organisations particulières et non comme des « petites » grandes entreprises, mais surtout de parvenir à s’extraire de ses traditions de modèles d’action essentiellement « réactifs » ou de seule recherche de conformité législative et réglementaire.
Les pistes déjà explorées sont nombreuses. Qu’elles soient méthodologiques, techniques et organisationnelles, elles ont été visitées depuis 15 ans par un grand nombre de préventeurs très impliqués dans l’action auprès de PMO, en particulier les IPRP des SSTi. Avant d’en explorer de nouvelles, c’est surtout un effort de capitalisation qui doit être fait. C’est une dynamique en marche, depuis le 1er Plan Santé Travail, avec de très nombreuses évolutions – nous ne les ignorerons pas – mais c’est un travail qu’il est encore nécessaire de poursuivre et d’intensifier.
Dans cette perspective, la préparation des préventeurs doit également évoluer. Les universités et autres écoles qui préparent nos actuels et futurs professionnels devront intégrer ces nouveaux terrains, décloisonner leurs approches et travailler – elles aussi – leurs complémentarités.
Gageons que la réforme structurelle attendue permettra à cette dynamique de trouver un second souffle…

 

[1] Plan Santé Travail 3

[2] Nous utiliserons ce terme générique pour désigner tous les professionnels intervenants en entreprise sur des questions de santé et de sécurité au travail, sans distinction de métier d’origine.

[3] Sans s’attarder ici sur une définition, nous considérerons les entreprises d’une à quelques dizaines de personnes, jouissant d’une indépendance et d’une autonomie suffisante d’un point de vue des décisions et de l’organisation, qui constituent la grande majorité des entreprises françaises et un tiers de l’emploi salarié.

[4] Nous considérerons ici la culture de prévention comme un comportement d’entreprise caractérisé par une sensibilité et des dispositions collectives et individuelles qui concourent à ce que la plus haute priorité soit accordée à la prévention des risques en santé et sécurité au travail

[5] Orientations retenues par le groupe permanent d’orientation du COCT pour le troisième Plan Santé au Travail (PST3), version finale, 9 décembre 2014

[6] BEYSSIER J.-C. Désignation d’un salarié compétent pour les activités de protection et de prévention – Réflexion sur l’implication du SSTI PREVENTIQUE N°127 janvier-février 2013

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